Kiliwatch et Sofiane Boukhari nous proposent une captivante juxtaposition de mode et culture, à travers une plongée dans l’histoire du vêtement de travail français et britannique de la fin du XIXe siècle aux années 1950.
« Classe Ouvrière » n’est pas seulement une exposition, ce n’est pas qu’un pop-up store non plus, c’est un véritable voyage dans l’imaginaire des créateurs contemporains.
Du 20 janvier au 29 février, l’enseigne et son invité dressent une anthologie de 250 modèles rares de vêtements de travail français et britanniques. Ils y sont présentés et mis en vente dans une scénographie faisant revivre ce patrimoine mal connu.
Toute la singularité de cet événement tient à sa puissance sensorielle. En pénétrant dans cette espace où l’on a remonté le temps, l’air lui même paraît différent.
Les mots et images qui évoquent le workwear, mais ne rendent pas autant hommage à la sensualité des étoffes (couleurs, touché, émotion…) que l’expérience sous lumière réelle, à la rencontre de ces pièces rares et fascinantes.
L’escale au 64 rue Tiquetonne vaut le détour !
L’iconographie de l’époque est ainsi représentée avec un jeu de dégradé de couleurs emblématiques, des marquages au sol comme repères pour les visiteurs, des références historiques sous forme de littératures, photos d’époque et pièces phares suspendues
L’esthétique me fait pénétrer littéralement dans l’inspiration des créateurs tels qu’Acné, Ralph Lauren, Maison Martin Margiela, Céline, Isabel Marant, etc. C’est précisément chez Sofiane que ces designers viennent chercher le renouvellement à leurs collections actuelles
Cet archéologue du vêtement de travail ancien, fait partie de ces passionnés capables d’estimer finement la valeur marchande, sociologique et esthétique des produits et d’en expliquer les spéculations stylistiques actuelles. Aller plus loin qu’une tendance, c’est en raconter l’origine.
Alors, il m’explique à quel point ses trouvailles rares influencent la mode contemporaine, ce qui fait leur singularité, comment elles contribuent à amorcer un retour du monde de la mode vers davantage d’authenticité et de créativité.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la reconstitution historique mais la modernité : comment ces pièces inspirent, comprendre le lien entre les vêtements du siècle dernier et ceux d’aujourd’hui, c’est ça qui est fascinant !
Il nous fera également découvrir les produits rares de son ami Richard Wise, précurseur du workwear de l’époque Victorienne. Depuis une dizaine d’années, il incarne la référence londonienne du vêtement authentique ancien, ayant largement influencé les collections Menswear de ces 5 dernières années.
Entretien avec Sofiane Boukhari, leçon de mode… et d’humilité :
Pourquoi te spécialises-tu particulièrement sur ce créneau et cette période ? Pourquoi marque-t-elle tant la créativité des grandes maisons ?
On s’intéresse à cette période où l’on passe d’une société médiévale et féodale au monde moderne et capitaliste.
L’habit change de fonction : il incarnait jusqu’alors une certaine représentation de la richesse et de la possession pour les uns, de la débrouille avec ce que l’on trouve sans véritable dress code, pour d’autres.
Son récit me fait réaliser aujourd’hui que ces deux opposés trouvent une convergence dans la mode actuelle. Ce qui se contredisait à l’époque devient la définition du style aujourd’hui.
Mon manteau d’ingénieur automobile du début 19es rappelle les créations de Margiela ou Comme des Garçons et se mixe parfaitement avec ma très contemporaine paire de Folk (Conceived in UK, Made in Portugal).
Pourquoi s’arrêter à 1950 ?
La révolution industrielle apporte une nature plus fonctionnelle au vêtement, dans lequel on doit se sentir à l’aise et protégé : la fin des parures importables marque le début du vêtement moderne.
Les petites fabriques ne résistent pas à l’après deuxième guerre mondiale, la couture laisse place à un produit industrialisé avec pour symbole ultime de ce bouleversement : la sur-jeteuse.
Sofiane s’intéresse au vêtement de travail paysan et populaire au sens large :
aujourd’hui le terme « COUTURE » n’est utilisé que pour définir la Haute-Couture, alors qu’originellement elle était populaire et non élitiste.
Il m’aide à décrypter les 3 thématiques de l’installation, choisies et traitées précisément parce qu’elles sont des techniques disparues de façon organique et naturelle, mais qui pourtant font la spécificité des vêtements.
INDIGO : Si le vêtement de travail se définissait par une couleur, ce serait l’indigo. Il caractérise les uniformes anciens des paysans et ouvriers. La toile de Nîmes, un tissu de lin teint à l’indigo naturel à la fin du XIXème siècle deviendra l’inspiration fondatrice du Denim américain. Bleu « villette », « Chintz », tons pastel… cette couleur incarne l’histoire du vêtement de travail français et, au-delà d’une couleur, une véritable philosophie !
L’indigo fluide et peu salissant, était surnommé le « cache poussière ». Il est magique, presque métaphysique dans ce processus de transformation à partir d’une plante verte dont la couleur se métamorphose. L’indigo aujourd’hui n’a plus rien à voir. On ne teint plus de la même manière et il est très difficile de le fixer sur le vêtement, à l’époque des prouesses étaient réalisées.
Selon les régions, différents procédés étaient développés avec les moyens du bord pour fixer l’indigo : on utilisait l’urine humaine car elle comporte de l’ammoniaque.
L’effet brillant WAX était obtenu grâce au jaune d’œuf ou sang de cochon que l’on faisait pénétrer dans la fibre en tapant dessus.
Plus personnes n’utilise encore ces techniques des plus efficaces. Seuls les Touaregs ou encore dans la région chinoise de Miao produisent des tissus brillant « waxés » pour les cérémonies
Le ravaudages
L’ouvrier ou le paysan, de la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 50, ne possède qu’une tenue de travail. Il doit réparer les trous et déchirures inhérents au dur labeur. Pour cela, de magnifiques broderies manuelles ou un travail de « patch » permettaient à un vêtement de dépasser l’espérance de vie des hommes. Les rapiècements et ravaudages illustrent le vécu d’une pièce, son pedigree.
Souvent réalisé en brodant, nécessite des dizaines d’heures de travail manuel. C’est impossible aujourd’hui, à cause du coût et la perte de maîtrise de la technique avec le temps.
La patine
Le vêtement de travail ancien a toujours utilisé des matières solides et rugueuses avec cette idée fondamentale : un homme, une vie, un vêtement. Ainsi, la moleskine, le lin, le chanvre, à la fois robustes et souples, étaient capables de résister au soleil, à la pluie mais surtout aux mouvements réguliers et répétés des travailleurs. La patine est donc la teinte naturelle que prenait l’étoffe au fil des années.
La patine est l’anti-vêtement industriel par excellence. Personne n’ignore plus les procédés chimiques utilisés par l’industrie des « jeans qui tuent ». C’est horrible pour l’environnement et les gens qui travaillent dessus. La patine véritable prend 30 à 100 ans pour être obtenue : à partir du travail, de la lumière naturelle. C’est l’antithèse absolue du vêtement et plus particulièrement du Denim d’aujourd’hui.
Avec Classe Ouvrière chez Kiliwatch, on parcourt les vêtements comme on examine un être vivant. Sur les pièce de lin, on aperçoit les fibres, la finesse du tissage, la délicatesse des broderies qui nécessitaient des heures de travail.
Un vêtement de travail, même de paysan était très raffiné, d’apparence très simple, il fournit des dizaines d’idées pour un créateur, qu’il reprendra dans ses collections.
Pantalon de zouave (esclaves) des colonies françaises : fibre d’ananas et soie + soie
Modèle Indigo : Biaude, blouse de paysan de la fin du 19e
Au fil des saisons, la barre de l’intérêt créatif est à chaque fois hissée au cran supérieur chez Kiliwatch.
Les thématiques abordées et les scénographies développées, à l’échelle de l’enseigne, ne sont pas sans me rappeler certains de mes stores préférés à l’étranger: LN-CC à Londres, Dover Street Market à New-York, Konzepp à Hong Kong, Adam & Ropé à Tokyo, etc.
Il flotte un aire de renouveau de ce côté du quartier Etienne Marcel à Paris 😉
Classe Ouvrière
une sélection unique de vêtements de travail de 1860 à 1950
Chez Kiliwatch Paris au 64 Rue Tiquetonne, 75002 Paris
Du 20 janvier au 29 février 2016.
More from Non classé
Episode 10 – Humain, inclusion, diversité dans la mode : Think Tank We Love Green et Fashion Revolution France
Le futur de la mode dans un standard « responsable » ne se définit pas uniquement dans la conception de …
Episode 5 (1/3) – Transformation durable et réaliste de la mode, challenges et solutions : avec les étudiants de l’Institut Français de le Mode, Riccardo Bellini, PDG de Chloé, Xavier Romatet, Directeur général de l’IFM.
Quels sont les principaux challenges, business models et solutions pour la transformation durable et réaliste de la mode ? Où …
Spécial Fête d'Eco-mères !
Fêter l'amour durablement avec la sélection fête des mères eco)friendly de WA (off)